Ma démarche artistique
L’EXPÉRIENCE DE L’ART:
en contexte de croissance personnelle
Par souci de synthèse, j’ai pensé une réflexion au sujet de l’art, de la création d’objets d’art et de l’expérience de l’art en contexte de croissance personnelle. Afin de rendre justice à l’art-thérapie, à la créativité, je tente ici de présenter un portrait qui tienne compte de la dimension phénoménologique, expérientielle et philosophique de cette discipline. Tenter de le mettre en mots dans sa totalité requiérerait l’art du poème ou encore du dessin pour saisir ce vaste ensemble. Mon désir étant d’aller au-delà des mots ou bien avant les mots, je vais donc utiliser le langage que je privilégie: la créativité. J’ai fortement envie de vous dire ce qu’est l’expérience de l’art, comme on conte une histoire neuve d’existence à chaque fois qu’on tente de la raconter. Puisque j’ai l’impression de m’aventurer dans un conte sans fin, je vais donc vous faire pénétrer ce monde à travers mes yeux, ma profession et mon expérience personnelle de création. J’espère émousser votre intérêt ou l’agrandir. Je ne m’adresse pas qu’aux thérapeutes mais bien à vous, tous et toutes, créateurs et créatrices en processus de croissance.
MOMENT D’UNE RARE BEAUTÉ
Lorsque je me retrouve en présence d’une personne qui se laisse prendre par l’expérience de l’art et que je l’assiste, je me surprends moi-même en complicité avec elle. Lorsque je vois et sens tout son cœur, tout son corps et tout son esprit se mobiliser en totale action de communion et de création, je participe à la mise en mouvement de son imaginaire, à la mise en forme de son expérience émotive et affective et ça me rend ému.
Lorsque je suis témoin de l’émergence d’un symbole, d’une image, d’une représentation de son expérience et du vécu qu’elle y a déposé, je me sens privilégié. À cet instant précis l’endroit de notre rencontre se tisse à même notre humanité. L’objet d’art qu’elle investit devient dynamique, langage universel, dialogue et échange. Pour moi c’est comme un moment de veille et je me prête volontiers à ces moments de communication silencieux et regorgeant de sens. Au-delà du temps, de l’espace, cette œuvre communique émotions, sensations comme une invitation d’une rare beauté, celle de l’expérience de l’art et de la croissance personnelle.
QUAND L’ART EST CROISSANCE PERSONNELLE
L’art est le processus en action de la créativité et le propre de la créativité est de favoriser des façons différentes de voir. Elle rend accessible des voies totalement neuves d’existence ou encore perçues comme étant inaccessibles.
Lorsque l’art et la croissance personnelle s’associent, l’art et l’expérience de l’art deviennent des actes créatifs. Ils impliquent une action de transformation qui dépasse l’esthétique. Autant le créateur de l’œuvre que l’œuvre d’art sont sujets de cette transformation. Dans ce sens, art et expérience de l’art désignent une fonction humaine faisant partie intégrante d’une capacité, d’une nécessité de donner forme tangible à toute expérience vécue. Ils privilégient l’émergence du potentiel créateur de l’individu et l’expérience qu’il en fait.
Ici, l’art est considéré comme un ensemble de façons d’être, de penser, d’agir, d’imaginer, de sentir et ressentir. Ici, l’art est une façon de vivre, elle est attitude, elle est posture susceptible d’ouvrir de nouvelles «voix». Dans ce sens l’art est un langage non-verbal capable de parler, de témoigner et de créer de multiples ouvertures. L’œuvre d’art rend l’expérience vécue dans l’immédiat plus réelle et plus accessible.
Magie ou mystère réservé à une élite
L’art en croissance personnelle devient un acte de reconnaissance de notre pouvoir créatif, c’est à dire de notre pouvoir de nous transformer et de transformer le monde qui nous entoure. Ce pouvoir créatif s’étend de notre manière d’être à notre façon de penser, de nous percevoir, jusqu’à notre façon de penser le monde qui nous entoure et de nous le représenter. Dans ce sens l’art, dans un contexte de croissance personnelle, s’apparente à l’esprit qui informe, donne forme et met en forme, il cristallise notre expérience humaine.
La créativité procède de l’entière expérience d’un individu. Elle émerge de tout l’organisme dans lequel elle se trouve incarnée (du moléculaire aux muscles, aux mémoires, aux sens…) c’est un phénomène multisensoriel. Le créateur d’une œuvre met en branle son arsenal de perceptions, de sensations, de sentiments, d’émotions et d’imagination. Cet ensemble permet des échanges intrapersonnels (le monde avec soi-même: l’eigenwelt) et interpersonnels (le monde avec les autres: le mitwelt) et passent avec, dans et par le corps (le monde relié au corps: l’umwelt) et tout ce qui est en relation avec ce dernier, c’est ce que j’appelle le phénomène de la corporéité. Notre créativité ne nous vient pas d’un ailleurs qui nous tombe dessus. Notre potentiel créateur se développe lorsque nous sommes en action, en processus d’action, dans une façon de voir et d’appréhender de manière neuve ce qui s’offre à nous, à nos multiples perceptions et à nos sens.
Sommes-nous habité par l’art ou habitons-nous l’art?
L’art a la fonction d’un principe créateur et unificateur. Il peut témoigner d’un désordre auquel on tente de mettre l’ordre. Il peut être à la fois le processus, la manière d’être, la façon de faire et la production créée, tous sont des témoins. On pourrait dire que l’art est un agent organisateur, un agent créateur de liens, un canal par où se manifeste le sens, comme un producteur de sens.
Comme l’âme habitée d’un corps ou un corps habité d’une âme, la créativité est à la fois contenu et contenant. Pour chacun de nous cela veut dire que l’art nous habite puisque nous sommes fondamentalement des êtres créatifs et que nous l’habitons aussi, parce que la créativité est geste et attitude de l’être, de l’esprit et du corps qui informe et prend forme.
En croissance personnelle par l’art, l’art s’offre en mouvements, en sons, en images, en rythmes, en mémoires et nombreuses autres manifestations de l’esprit et du corps. L’art est semblable à un souffle d’existence nouvelle, aux mouvements, aux couleurs et aux sonorités subtiles.
Que sont les arts pour la croissance personnelle?
La croissance personnelle par les arts est nulle autre qu’une large voie qui se donne à nous dans le sens d’une offrande. Le choix de ses modalités (art-thérapie, thérapie par l’art dramatique, thérapie par la danse et le mouvement, musico-thérapie…), et de sa panoplie de médiums (du crayon de plomb à la peinture tactile, d’un son vocal à l’instrument à percussion…) nous sollicitent à la découverte et à l’exploration. Or, la signature de la thérapie par les arts est de l’ordre multisensoriel. Elle interpelle le thérapeute à reviser sa façon d’intervenir et de plus, sa facture créatrice l’invite à repenser la façon dont il se représente tout client. Le client est acteur principal et outil de sa propre transformation à condition de lui signifier qu’il peut ouvrir la voie de sa créativité. L’accompagner en lui offrant la largeur qui lui permet de s’auto-créer et les outils est de la responsabilité du thérapeute.
Qu’en est-il du propre à l’art-thérapie ?
En art-thérapie, l’œuvre d’art est à la fois le produit et l’agent de liaison. Les formes plastiques et le langage visuel sont les témoins d’un processus de transformation thérapeutique. Dans ce sens, le produit plastique dans son langage visuel et symbolique s’offre à la lecture du client ou du patient autant qu’au thérapeute. L’œuvre créée, dans sa forme représentée, est une manifestation réelle et irréfutable du cheminement ou du parcours de l’individu. L’œuvre est un support tangible, elle passe au rang d’une réalité à lire, d’une réalité porteuse d’un sens ou de sens qui se donnent à voir.
Il est difficile pour celui ou celle qui lui a donné vie d’ignorer sa présence ou de refuser de la reconnaître comme étant sa création. Elle appartient à son créateur qui ne peut en réfuter totale paternité, ou à sa créatrice qui ne peut en réfuter totale maternité. L’espace de papier, même porteur d’un unique petit point, est sans contestation une matrice ayant un sens d’appartenance. Une simple ligne dans sa largeur, sa longueur, sa densité, sa vitesse d’exécution, son orientation, c’est à dire dans sa particularité d’exécution et dans son existence propre, n’est pas insignifiante.
Un simple trait, une tache sont des portes d’accès à l’insoupçonné, à ce qui est nouveau d’existence. Ils permettent à l’inconscient (personnel et/ou collectif) de se manifester. Lorsqu’un individu est surpris en flagrant délit de création, il peut aussi rejoindre des états de conscience altérée, dont les effets s’apparentent aux états de transe associés à la guérison.
Pourquoi donner forme tangible à l’expérience humaine?
Au travers de l’expérience de l’art, l’œuvre créée est matérielle. Elle devient un objet investi et possède le potentiel de se transformer pour devenir à son tour un acteur. L’œuvre n’est pas statique. Elle ouvre de nouvelles possibilités d’existence. Elle donne vie et libre expression à des expériences souvent indescriptibles et parfois insoutenables. Lorsque l’expérience s’apparente à l’ordre du «monstrueux» ou de ce qui n’aurait pas pu trouver une «voix» pour se dire autrement, l’œuvre en témoigne. Par l’expérience de l’art, tout, mais tout peut s’exprimer et c’est ok.
Il est impressionnant de constater comment une simple feuille de papier peut devenir un espace de sécurité prêt à recevoir des coups de crayon, de pinceaux propres à l’expérience de l’individu. Ici, c’est l’authenticité de l’expérience qui compte. L’individu crée une œuvre de valeur, vivante et témoin à laquelle tout son corps participe, tout l’humain en lui, dans sa globalité.
Ce qui souvent est de l’ordre de l’informe ou du chaos devient en processus d’organisation. Des textures nouvelles, que l’on ne reconnaissait pas à l’expérience vécue jusque là, soudainement apparaissent. Une synchronicité se produit entre le créateur et son œuvre. Si l’expérience permet une reconnaissance d’émotions, de sentiments ou de sensations déjà éprouvés auparavant elle confirme l’individu. Si elle est porteuse de sensations qu’il n’appréhendait pas, de sentiments ou d’émotions jusque là qu’il ignorait elle devient révélatrice. Donner forme à une expérience vécue c’est s’offrir le pouvoir de se la réapproprier. Nouvelle d’existence, la personne s’auto-crée. Sous l’action de créer et dans l’action de création, elle se transforme elle-même. Elle habite son pouvoir de s’usiner, de se transformer et répond à sa raison d’être: CRÉER.